Le noir, les voix, le froid, le calme…le bruit des mitraillettes, les cris, le rouge, le chaos.

-Maman !
-Je suis là ma chérie, je suis là !

L’étreinte, la chaleur des bras aimant, un cœur qui bat…

-Encore un cauchemar ?

Aucune réponse, juste une pression un peu plus forte, confirmant simplement ses soupçons de mère. Inlassablement, elle continua à passer sa main dans ses cheveux roux, calmant les pleurs de sa fille. Ils avaient voulu la lui arracher, elle avait répliqué avec violence, avec toute sa force de mère, et avec son père il l’avait alors sauvé. Mais pour combien de temps ? Combien de mois, de jours, d’heures avant qu’ils ne les retrouvent et viennent réclamer son enfant ? Aucun endroit n’était sûr en ce pays, ils n’avaient nulle part ou se cacher. Alors ils avaient décidés de fuir, loin, ailleurs, là où on ne les connaissait pas, là où leur fille serait enfin en sécurité. Ils avaient tout prévu, tout du moins autant qu’ils leur étaient possible de prévoir…

-On est encore loin ? demanda soudainement la voix de sa fille.
-Plus que quelques jours et nous seront enfin à Los Angeles, lui répondit sa mère.
-…
-Ne t’inquiète pas Aslinn, ils ne nous rattraperont pas, la rassura la voix chaude de son père.

Un petit sourire forcé, puis elle retourna dans le giron protecteur de sa mère, là où elle se sentait en sécurité. Parce que rien ne pouvait lui arriver tant qu’elle était dans ses bras, elle en était sûre. Mais inévitablement, elle se remit à penser à tout ça, tout ce qui l’avait amené dans cette voiture lancé à pleine vitesse sur les routes américaines. Comment tout cela était-il arrivé ? Comment est-ce que ça avait pu dégénérer à ce point ? Elle ne se rappelait même plus avec exactitude comment ça avait commencé, mais une chose était sûr, les gens à la tête de ce pays étaient malades, assez pour vouloir faire d’une adolescente une arme meurtrière.

Elle savait qu’elle n’était pas normale, qu’il y avait quelque chose de différent au fond d’elle, une chose qu’elle ne parvenait à expliquer, mais qui était là. Et parce qu’elle pouvait créer des courants d’airs assez puissant pour soulever une voiture, on avait voulu l’enfermer, l’étudier comme un cobaye, lui ouvrir la tête et étudier son cerveau… Bordel, on avait voulu lui ouvrir la tête et rien que l’idée en elle-même était déjà assez flippante comme ça ! Elle n’avait clairement pas envie de savoir quelle sensation cela faisait !

Alors ils avaient fuis, elle et ses parents, et ils avaient établi un plan pour quitter ce pays. Un ami japonais les avait aidés à obtenir les autorisations pour séjourner là-bas. Elle était même inscrite dans un établissement où elle pourrait continuer ses études. La dernière ligne droite était de prendre un avion à Los Angeles qui les amènerait droit vers Tokyo. De là ils prendraient le train pour une autre ville, où ils seraient de parfaits étrangers et où l’armée américaine ne pourra pas venir la chercher.

Le but actuellement était de prendre assez d’avance sur l’armée pour prendre l’avion en toute sécurité, et afin de rester le plus discret possible ils avaient pris une voiture. Et croyez bien que rallier New York City à Los Angeles en voiture n’était pas le plus agréable des voyages ! Mais elle supportait en silence, car elle savait que c’était pour leur bien, et que ses parents souffraient également beaucoup. Sa mère avait beau la rassurer, elle gardait cette peur intérieure de voir surgir un uniforme à tout moment, qui l’emmènerait loin d’ici, dans un endroit sombre et glauque d’où elle ne pourrait plus jamais partir.

Un frisson de peur remonta le long de son dos, en réponse sa mère la serra plus fermement contre elle, avant de commencer à fredonner un air de son enfance. Et peu à peu elle se calma, au point de se rendormir un peu, d’un sommeil plus calme cette fois, plus réparateur que le premier.

Lorsqu’elle se réveilla à nouveau, il faisait jour et ils étaient arrêtés sur un petit parking d’une petite station ouverte vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Autour d’elle ses parents étaient endormis, son père sur le siège conducteur et sa mère à côté d’elle, la serrant toujours contre elle. Le cerveau encore embrumé, elle se redressa un peu, faisant craquer les articulations de sa nuque, bougeant un peu, déliant ses muscles endoloris après tant d’heures de voyage. Elle entreprit alors de sortir un peu, marcher lui ferait du bien et la réveillerait, et puis elle avait une envie pressante aussi…

Observant autour d’elle et ne voyant aucun véhicule militaire ou quoique ce soit s’approchant, elle ouvrit alors doucement la portière, ne voulant pas réveiller ses parents qui avaient besoin de repos. Elle marcha un peu, avec douleur dans un premier temps, puis repris son assurance et se dirigea vers l’arrière du bâtiment où elle trouverait son bonheur. Seulement ce qu’elle n’avait pas prévu, c’était cet homme qui l’attendait à la sortie -sans doute encore un de ses détraqués qui ne s’attaquaient qu’aux jeunes filles.

Elle n’eut même pas le temps d’émettre un seule bruit qu’il l’avait plaqué violement contre le mur, sa main sur sa bouche pour l’empêcher de crier. Sa réaction fut tout aussi violente et instinctive : elle avait simplement plaqué ses mains contre son torse pour le repousser, et un puissant courant d’air naquit alors autour d’eux, envoyant valser son agresseur plusieurs mètres plus loin. Choquée, Aslinn resta un instant collé contre le mur, avant de se mettre à courir pour rejoindre la voiture où dormaient ses parents.

En chemin, elle fut happée par deux bras puissants et serré contre un torse musclé. Elle reconnut d’emblée la poigne de son père qui la prit ensuite par les épaules pour la regarder dans les yeux avec soulagement et désapprobation.

-Je…, commença-t-elle.
-Bon sang Aslinn, ne me refait plus de peur pareille ! la coupa-t-il.
-…Désolé…, dit-elle instinctivement. Là-bas, continua-t-elle, y’a…un homme…il…il m’a attrapée…et je…je crois qu’il est mort…il…il a voler, mais…mais je te jure que je voulais pas ! …Je voulais pas, mais c’est partit tout seul et je…
-Rejoins ta mère, lui ordonna alors son père.
-Je…
-Rejoins ta mère ! répéta plus durement son père.

Sans se faire prier, la jeune fille détala en direction de la voiture et retrouva sa mère, rassurer de la voir entière. Toutes deux remontèrent alors en vitesse dans la voiture, tandis que son père revenait vers elle. Il grimpa à son tour sans un mot et démarra en trombe.

-Est-ce que… ? osa Aslinn après un moment.
-Juste assommé, lui répondit son père. A mon avis il se réveillera avec un énorme mal de crâne !

Soulagée, Aslinn se détendit un peu, mais resta lové contre sa mère. Ce fut un petit rire de son père qui lui fit redresser la tête.

-Au moins, je sais maintenant que ma fille sait se défendre toute seule ! s’expliqua-t-il.

Son rire se communiqua à sa femme dans un premier temps, qui en remit alors une couche.

-On aurait peut-être dut lui laisser un cachet d’aspirine ?

Aslinn se dérida alors un peu à son tour et laissa un rire un peu nerveux lui échapper, avant de suivre ses parents dans leur amusement. Et cela lui fit du bien de rire, d’oublier pour un court moment qu’ils étaient en fuite et de se retrouver en famille.

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Enfin, après un nombre incalculables d’heures, plusieurs pauses et deux blocs remplit de dessins, Los Angeles fut enfin en vue, pour le plus grand soulagement du trio. Pourtant, ils ne se précipitèrent pas, et firent comme si tout était normal, une simple famille venu prendre l’avion pour partir en voyage. Le nom était faux bien sûr, tout comme les papiers qu’ils avaient payés avec leurs dernières économies, afin de passer aussi inaperçus que possible.

Replaçant avec nervosité son sac sur son épaule, Aslinn ne pouvait s’empêcher de jeter des coups d’œil anxieux autour d’elle. Elle avait cette peur constante de voir un treillis surgir au coin du prochain croisement. Sa mère lui prit alors la main, la serrant, la rassurant comme elle pouvait, alors qu’elle aussi était morte de peur. Et ce n’était pas sans raison…

Alors qu’ils approchaient de la porte d’embarcation, un grand bruit derrière eux les fit se retourner. Une sueur froide de forma instantanément dans le dos d’Aslinn, alors que plusieurs militaires faisaient leur entrée dans l’aéroport. Ce fut la main de sa mère qui la ramena à la réalité, la tirant vers la porte, la forçant à avancer. Mais derrière eux, l’armée avançait à grand pas, et ils seraient bientôt sur eux… D’un commun accord silencieux, ses parents prirent alors la même décision, au même instant, pour leur fille. Sa mère se plaça alors devant-elle, plongeant son regard dans le sien.

-Aslinn, l’appela-t-elle doucement, Aslinn, écoute-moi ! continua-t-elle jusqu’à avoir toute l’attention de sa fille. Avance jusqu’à la porte d’embarquement et monte dans l’avion, lui dit-elle.
-Maman ?
-Fait ce que je te dis, ordonna-t-elle. On te rejoint avec ton père, vas-y.
-Maman…, commença à pleurer sa fille.
-Vas-y !

Déposant un baiser sur son front, elle la poussa alors vers la porte, avant de rejoindre son mari qui se dirigeait vers les militaires. Ensemble, ils se tinrent la main, se dire une dernière fois quelques serment d’amour, puis se jetèrent à corps perdu dans leur dernière bataille…pour leur fille.

Dans leur dos, Aslinn resta un moment choquée les regardant partir sur leur dernier champ de bataille, les paroles de sa mère résonnant dans sa tête, ils la rejoindraient. Se raccrochant à ça, elle entreprit alors de suivre la foule vers la porte d’embarquement, sa porte de sortie, celle qui lui sauverait la vie… Machinalement, elle tendit son billet, quelques larmes apparaissant au coin de ses yeux. La jeune hôtesse de l’air la rassura sur le fait que tout se passerait bien et qu’elle n’avait pas à s’inquiéter, mais elle ne l’écouta pas, et avança à son tour dans le couloir qui la mènerait à l’avion.

C’est alors que des tirs résonnèrent dans son dos, et lorsqu’elle se retourna machinalement, elle ne put que voir le corps de sa mère chuter à terre et entendre le cri de douleur de son père. Elle aurait voulu les rejoindre, mourir avec eux, mais un sas tomba, coupant l’accès au couloir d’embarquement, séparant les quelques personnes présents du reste de l’aéroport. Très professionnelle, les hôtesses de l’air dirigèrent les passagers vers l’avion, les rassurant sur le fait qu’ils étaient considérés comme en territoire japonais et que rien ne pourraient leur arriver. Aslinn les suivit, comme un automate, s’installant à sa place et s’accrochant à son siège.

Ce ne fut que lorsque l’avion eut décollé que ses nerfs lâchèrent et qu’elle se mit à pleurer toutes les larmes de son corps. Rien, ni personne ne put la consoler, et elle passa tout le voyage à laisser les larmes inonder son visage, mangeant très peu et ne dormant presque pas…

Une fois arrivée à l’aéroport de Tokyo, elle fut complètement perdue, et se mit simplement à suivre les gens comme un automate, le visage toujours ravagé par les larmes. Ce fut alors qu’un vieil homme l’aborda et la regarda un instant.

-Aslinn Klaylith ? lui demanda-t-il.
-Oui ? répondit-elle d’une petite voix.
-Viens avec moi, lui dit-il.

Son anglais était assez rudimentaire, mais Aslinn comprit ce qu’il attendait d’elle et elle supposa qu’il s’agissait de cet ami qui les aidait. Ce dernier la prit alors en charge et la conduisit jusqu’à la gare, lui remettant un petit sac dans lequel elle trouverait tout ce dont elle avait besoin pour survivre quelques jours sans trop de problème. Il y avait également un téléphone, sa carte de résidente permanente et sa carte d’étudiante, tout pour rester légalement dans le pays.

Elle resta silencieuse de tout le voyage jusqu’à la gare, et même dans le train, elle n’ouvrit la bouge que pour commander à manger ; elle avait étudié le japonais pendant ses cours et savait donc se débrouiller. Mais elle était seule, désespérément seule et rien ne saurait combler ce vide dans son cœur. Quoiqu’il en soit, elle finit par arriver enfin dans sa nouvelle ville : Shizume. Planté au milieu de la gare, elle regarda autour d’elle, complètement perdue, avant de se laisser tomber au sol, se recroquevillant sur elle-même.

Et maintenant… ?